Lors de son déplacement dans le Cher, en juin dernier, François Bayrou avait donné une conférence de presse. Pour rappel, voici un extrait pour rappel de ses propos… toujours d’actualité !
Une version raccourcie de ces propos est parue dans Réforme du 15 septembre 2011
RÉFORME : Vous avez dit hier qu’on abordait une phase de reconstruction aussi difficile, voire davantage, qu’après la Libération. Est-ce que vous faisiez écho au livre de Stéphane Hessel Indignez-vous !? Le fait de repartir sur les bases définies par le CNR
François Bayrou : On aurait dû respecter les bases posées par le CNR en matière d’indépendance de la presse, de sécurité sociale, etc., mais nous ne distribuerons rien si nous ne produisons pas. Ça aussi, c’est une ligne de séparation. Ceux qui disent : il y a quelque part un compte en banque sur lequel on peut tirer autant de chèques que l’on veut, ceux-là eux aussi conduisent le pays à l’accident.
REFORME Justement, dès la fin des années 40, on avait réindustrialisé la France
FB : Pendant vingt ans, grâce à la coopération de toutes les forces du pays, y compris le Parti Communiste à l’époque. Je ne connais pas d’œuvre de reconstruction qui n’associe tous les grands courants qui se mettent d’accord sur l’essentiel. Mais, à mon avis, les buts à atteindre sont assez simples à définir. Ils sont peu nombreux. Depuis que j’ai quitté le Ministère de l’Éducation Nationale, la France a perdu une dizaine de places au classement mondial, bien au-delà de la vingtième place. Ce doit être un objectif que de remonter dans les dix premiers. Ce n’est pas hors de portée : nous avons partout des écoles, des collèges, des universités. Mais ça demande une gestion qui ne peut pas être partisane comme on est en train de le faire aujourd’hui, où la rupture est patente entre les responsables et le personnel éducatif. Même principe pour la Justice.
REFORME : Vous avez parlé dans la Tribune de la « sanctuarisation du budget » de l’Éducation Nationale. Faut-il rouvrir les classes fermées et les postes supprimés ?
Il faut être très prudent sur les annonces de créations de postes de fonctionnaires. Mais au moins on peut faire une chose : garantir sur le long terme les moyens de l’Éducation Nationale. Qu’il n’y ait plus le sentiment d’être une forteresse assiégée que le pouvoir veut constamment déshabiller. En revanche, je pense qu’on peut augmenter les moyens de l’Éducation Nationale notamment en offrant aux étudiants des postes analogues à ce qu’étaient les tuteurs, répétiteurs, surveillants autrefois. Une partie de la vie de l’étudiant devrait consister à transmettre à des plus jeunes, ce qui a été le grand secret du système éducatif anglais. Par ailleurs, vous vous renseignerez sur les horaires de fermeture des bibliothèques universitaires : dans tous les grands pays, elles sont ouvertes jusqu’à minuit (il y a même des pays où elles sont ouvertes toute la nuit) ; en France, elles ferment à 18 heures. Or, c’est le soir que les étudiants devraient y avoir accès. Ceci ne coûte pas cher ; il n’y a pas besoin de créer des postes de bibliothécaires à la charge de l’État. Ce serait une manière de responsabiliser les étudiants. Ce serait aussi une manière de ne pas discriminer ceux qui sont obligés de travailler pour financer leurs études. Qu’il y ait dans la vie estudiantine une part de prise en charge de la vie lycéenne ou étudiante, ça apporterait des ressources, ça ne coûterait pas cher à l’État, et ça modifierait les mentalités. Il n’y aurait plus les fils de famille d’un côté et les prolos de l’autre. Cette conception peut tout changer y compris dans l’efficacité de l’école .
REFORME : Vous parlez de rassembler. Encore faut-il que les gens puissent travailler de manière conciliable. Vous en avez repéré ?
FB : Beaucoup. J’ai des noms en tête… D’autre part, les portes s’ouvrent. Il y a quatre ans, beaucoup de mes amis ont été choqués de ce que je ne rejoigne pas Nicolas Sarkozy et que je m’installe en situation critique. Aujourd’hui, ils n’ont pas de mots assez méprisants, voire insultants envers lui alors qu’il fait plutôt moins de bêtises qu’il y a quatre ans. À l’époque où Nicolas Sarkozy était en état de confrontation quotidienne avec les valeurs du pays, eux ils applaudissaient tous les jours.
REFORME : Mais une fois qu’on est arrivé aux commandes, ne se heurte-t-on pas au principe de réalité ?
FB : La politique, c’est exactement la cohérence entre une idée et une personne. Il faut avoir montré non pas qu’on sait faire un discours mais que, par des actes, on sait prendre des risques pour définir un chemin, et résister aux menaces et aux propositions alléchantes. Le bla-bla ou la mise en scène ne durent pas. C’est de la fausse monnaie. On ne peut pas redresser un pays si on ne lui dit pas la vérité. elle est fédératrice. L’éloignement de la vérité est fracture : les gens ne vous le pardonnent pas. Pour la première fois, vérité et politique seront alliées. En tout cas dans ma démarche.
REFORME : Etes-vous partisan d’une fiscalité plus forte vis-à-vis des hauts revenus ?
FB : Personne ne fera autrement : on y est obligé ! Je suis partisan de créer des tranches supplémentaires d’impôts sur le revenu pour les salaires les plus hauts. Ce n’est pas une question de lutte des classes, mais de justice. Il faut montrer au pays que le sommet de la pyramide doit accepter des sacrifices en rapport avec ses privilèges ou ses atouts. Ce ne sont même pas des sacrifices, mais la participation à l’effort collectif. « Est-ce qu’en haut ils sont soumis aux mêmes contraintes que nous, citoyens ordinaires, dans la vie de tous les jours ? ». Je suis persuadé que cette question est centrale. En ce qui concerne les gouvernants, nul doute qu’ils ne doivent accepter, eux aussi, des sacrifices.
Propos de François Bayrou recueillis par Philippe Malidor pour le journal Réforme