EXTRAITS
« À chacun ses mots clés. Certains choisissent le changement. C’est un des mots les plus creux du vocabulaire politique. Un de ces mots qu’on appelle valise, sachant qu’on peut tout mettre à l’intérieur. Il m’est arrivé, à moi aussi, d’employer ce mot quand j’étais bien plus jeune. J’avais commencé la campagne de 2002 avec un beau slogan, La France humaine, que j’avais déployé sur les flancs du bus au colza avec lequel j’avais entrepris de faire campagne. Hélas ! Les Boeing d’al-Qaida frappèrent les tours jumelles, et la campagne perdit aussitôt son sens et son originalité. Alors, en désespoir de cause, j’écrivis sur mes affiches : Le changement. Le changement, c’est ce qu’on dit quand on n’a rien à dire, ou qu’on ne peut rien dire. Ou, pire, quand on ne veut rien dire, faute d’avoir une pensée cohérente, indépendante des sondages et de l’air du temps. Car le changement n’est rien en soi : des changements, il en est de bons et il en est de mauvais, et parfois de très mauvais.
D’autres choisissent La France forte. Ainsi ceux qui ont, ces dernières années, le plus affaibli notre pays et mis à mal ses valeurs se drapent dans l’invocation de son intégrité et de son rayonnement. Il y a plus de soixante ans, dans son grand roman visionnaire 1984, George Orwell inventait la novlangue. Une langue qui était faite pour que personne ne puisse décrire une autre réalité que celle que voulait imposer la police de la pensée. Les mots eux-mêmes servaient à dire le contraire de ce qu’ils cherchaient à signifier. La guerre, c’est la paix !, ou La liberté, c’est l’esclavage !, devaient scander tous les jours les habitants abêtis. Utiliser les mots pour signifier leur contraire : l’amputation de toute compréhension, la décérébration par la propagande. Ce qui a affaibli la France, c’est l’absence de lucidité, les directions erronées, la division des Français entre eux, la recherche perpétuelle de boucs émissaires. Tout cela a été pour notre pays régressif et agressif. Le style brutal pour, au bout du compte, ne rien faire, ou pas grand-chose. La mise en scène avec les grands de ce monde pour montrer combien l’on est grand soi-même. Tout cela, c’était le contraire de la France forte. Continuer avec les mêmes dans la même direction, c’est donc la ruine de notre force nationale.
Si l’on veut l’authentique force de la France, et si l’on veut un changement bienfaisant par rapport à la situation actuelle, alors il est une condition : refonder la solidarité de la nation et la placer au centre de son destin. […]
« Coups de pied au derrière »
On a entendu récemment deux déclarations particulièrement choquantes, venues d’un bord, mais qui auraient pu venir de l’autre. Recevant plusieurs centaines d’experts à la fin du mois de janvier, le candidat du PS leur a dit ceci : Je sais que beaucoup d’entre vous sont là pour les postes. Et ils ont raison, parce que des postes, il y en aura beaucoup… Et à la fin du mois de février : Ceux [des hauts fonctionnaires] qui sont liés au pouvoir actuel devront forcément laisser la place à d’autres.
C’est une corruption de l’esprit public, d’autant plus grave que l’opposition a, depuis des années, et à juste titre, et moi au premier rang, reproché à Nicolas Sarkozy de peupler la haute fonction publique de ses affidés et de ses obligés. Et pas seulement la haute fonction publique, mais aussi la haute fonction privée ! C’est justement une des raisons pour lesquelles les républicains de conviction ont refusé leur confiance, ont combattu à visage découvert ce régime d’arbitraire.
Je sais ce qu’on dit dans bien des milieux quand on aborde ces questions. On dit c’est comme ça partout, on dit c’est inévitable. Je prétends que la corruption des esprits n’est pas inévitable, et je prétends que l’État est plus fort si on le débarrasse de l’obligation d’allégeance et de soumission. Je veux des fonctionnaires libres, et parce qu’ils seront libres ils seront encouragés à être loyaux. La loyauté, ça commence par la confiance. C’est parce qu’il n’y a pas de confiance, et parce que ces moeurs règnent partout, que les échines deviennent souples et courbes, que la flagornerie isole les gouvernants, et qu’on ne voit partout que lèche et lâche.
[…] Tout ramener à l’affiliation à un parti ou à un courant de pensée, c’est faire injure à la liberté de pensée. Que le Parti socialiste affiche si ouvertement un sectarisme d’État, au moment même où il ambitionne le monopole de l’appareil d’État, il y a là une dérive que, je l’affirme, ni Jaurès, ni Blum, ni aucun des républicains qui ont fait la France n’aurait laissée passer sans vigoureux coups de pied au derrière des arrogants impétrants. Ces jeunes gens auraient eu du mal, par la suite, à s’asseoir. »
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